Paléoanthropologie : extension du domaine de l’enseignement !

Entre Primatologie, Paléo-anthropologie, et Education : mettre à jour les origines naturelles de l’enseignement. et de l’apprentissage.

C’est l’année Jean-Jacques Rousseau, le temps venu de reprendre quelques une de ses questions favorites. Sont-elles toujours d’actualité ?

Dans son « Emile… » de 1762, Jean-Jacques Rousseau discourt sur « l’éducation naturelle » ou ce qu’elle devrait être, mais au fond la question qu’il ne cesse de se poser est : qu’est-ce que l’homme ?

De nombreux pédagogues, éducateurs, enseignants ont puisé dans cette approche de « l’éducation naturelle », mais la réponse à la question première n’a pas été abordée sous cet angle. Généralement, l’Homme reste un sujet défini, issu d’une histoire évolutive certes, mais différent de l’animal. C’est sur cette conclusion que s’achève la considération de l’homme. D’autre part, l’approche de Rousseau concerne également la relation que peut avoir l’élève avec son enseignant. Les stratégies d’apprentissages seraient à développer en fonction de l’âge de l’enfant…

Peut-on alors tenter de développer le thème d’une « éducation naturelle », dans le but de construire l’école de demain, construire cette perspective en répondant à la question de « qu’est-ce que l’homme ? » Une approche centrée sur la place de l’homme dans la nature, pour reprendre Sir Thomas Henry Huxley, serait importante, car elle renforcerait les connaissances de l’enracinement de l’humanité dans l’arbre de la vie. Or pour relier l’enseignement, l’apprentissage et nos connaissances sur l’homme, il faudrait pousser beaucoup plus loin notre approche.

Une vision large et pluridisciplinaire, dans un développement évolutionniste, serait utile et primordiale. Pour ce faire, il serait nécessaire de reprendre les termes du propre de l’homme. Chercher l’origine, les fonctions biologiques, les comportements mis en œuvre et leur évolution pour comprendre ce qui chez l’être humain est essentiel. Chercher ce qui permettrait de définir la nature humaine. Cela nous ramène à poser quelques questions simples mais fondamentales comme : Qu’est-ce que la conscience et comment est-elle mise en œuvre dans le fait de rire ? Qu’est-ce que l’apprentissage et comment le développement des connaissances de soi passe par le jeu ? L’agression et la réconciliation sont-ils tous deux des comportements gratuits ou opportunistes ? Qu’est-ce que l’imagination et comment est-elle mise en fonctionnement par la curiosité et la connaissance ? Une palette de questions qui donne des couleurs aux perspectives humaines et permet d’entrer dans les menus détails des  mécanismes somatiques, physiologiques et psychologiques de l’homme. Car en définitive, il n’y a pas de différence fondamentale entre l’homme et ses cousins primates, mais seulement des différences de degré comme le souligne La Mettrie en 1747. Nous le supposons depuis le XVIIe siècle, nous le savons depuis Darwin, et  cela a été confirmé par les fossiles comme par la génétique…

La théorie de l’évolution nous amène à reconsidérer notre manière d’aborder l’enseignement en général. Une culture scientifique large et complémentaire, alliant Primatologie, Paléoanthropologie, Etho-Ethnologie, peut nous permettre de développer une connaissance plus précise du système « enseignant-élève ». Mettre en place des outils de réflexion, c’est développer une autre manière d’être à l’enseignement. C’est un des enjeux que nous nous sommes fixés dans l’UE « Disciplines et recherche » du MASTER Métier de l’Enseignement Scolaire (MES), Spécialité « Enseignement primaire – Sciences et technologies » (IUFM, Université Joseph Fourier, Grenoble1).

Construire un individu, en pleine possession de ses moyens, en autonomie, c’est un travail sur la confiance de soi, la sécurité affective et non pas uniquement sur ses connaissances. Ces mots pour exprimer comment être enseignant ou en apprentissage. Le passage de témoin se réalise en empathie (ce qui est efficace) et non dans la contrainte et le stress (ce qui l’est moins !). Si l’homme était naturellement bon, il faudrait ajouter qu’il a été bien éduqué. La mauvaise éducation est celle qui pousse à n’établir ces relations que dans la violence. Cela ne veut pas dire que c’est un échec irrémédiable, c’est une résultante, un phénomène à comprendre. Comme l’ont montré de nombreux primatologues, la violence est une stratégie comportementale pour se construire ou se reconstruire dans certaines situations. La socialité, la morale, c’est définir comment vivre ensemble. Ce ne sont pas  seulement des concepts politiques voire religieux.  Ce sont des éléments fondamentaux, d’origine ancestrale. Ils participent à l’évolution des sociétés, celles que nous participons à construire. Nous avons à le comprendre ; nous avons à nous comprendre.

Bienvenue dans l’âge de l’empathie, merci monsieur Franz de Waal !

Quelques lectures :

  • Jean-Jacques Rousseau, 1762, l’Emile ou de l’éducation
  • Julien Offray de La Mettrie, 1747, L’homme-machine, 1001 nuits
  • Thomas H. Huxley, 1863, De la place de l’homme dans la nature
  • Lorenz Konrad, 1969, l’agression, Flammarion
  • Franz de Waal, 1992, De la réconciliation chez les primates, Flammarion
  • Franz De Waal, 1997, Le bon singe, Bayard
  • Franz de Waal, 2010, L’âge de l’empathie, LLL

A propos Jean-Jacques Millet

Chercheur libre et associé Chargé de cours Muséum National d'Histoire Naturelle, Paris Université Joseph Fourier, Grenoble Membre Société Francophone De Primatologie Membre Société Anthropologie de Paris Membre Association Valorisation Diffusion Préhistoire Alpine
Ce contenu a été publié dans Article, Esprit critique. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.